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24H AVEC UN VIGNERON D’ABBAYE

« MA JOURNEE TYPE »

« Je me lève le matin vers 6h15.

….

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il fait encore nuit noire dehors à cette période de l’année. Nous sommes en hiver.

Ce matin, la lune n’est pas complétement couchée. Son ombre glisse encore sur

les murs hauts du Réfectoire des Convers. Tout est noir et argent. Silencieux et calme.

Jusqu’à là tout va bien.

 

Je gratte le givre à l’intérieur des vitres de la chambre. Nous sommes très mal isolés.

La pièce est petite : 9 m2, c’est une ancienne cellule de moine, mal chauffée et très haute de plafond.
Comme toutes les pièces de notre logement, taillées dans les anciennes parties dévolues à la vie monastique, un grand couloir central, des pièces toutes également petites distribuées à gauche et à droite.

En été, c’est « cool » au sens premier du terme.

En hiver, ma femme me dit que c’est nettement moins « cool », plutôt très rafraîchissant. TRES.
Heureusement que le déshumidificateur fonctionne correctement. Il fait froid, mais à peu près sec.
A bientôt 60 ans, c’est mieux pour mes rhumatismes.

J’entame ma journée de travail entre 7h15 et 7h30.
Comme tout vigneron, patron, propriétaire, employeur, qui se respecte, je passe 90% de mon temps derrière mon ordinateur, dans mon bureau – chauffé lui.

Et même avec une connexion Internet – certes, avec ce qu’un parisien qualifierait de « débit de m… ».

Plus tout à fait un modem (tuuut, tuuut, tuuut), mais avec un débit « parabolique » c’est juste suffisant pour ne pas trop s’énerver.

Mais largement assez coûteux pour râler à chaque communication gouvernementale sur « la fin des zones blanches » en France et autres conneries de cet acabit.

Vive la ruralité profonde et isolée qui fait pourtant fantasmer nos visiteurs.
OUI, comme un moine qui recopiait des manuscrits, je passe 90% de mon temps en « bureautique »,« informatique »

et autre « tiques » (suceuses du sang des vignerons)… OUI, à peu près.

Et encore, je salarie à plein temps depuis 2 ans une secrétaire, comptable, administrative, commerciale, à « tout faire » etc. Car je n’arrive plus à faire face aux exigences administratives de notre métier de vigneron.

Les normes, les contrôles, les documents à remplir, les montagnes d’informations diverses, nouvelles, contradictoires parfois, qui alimentent à plein tube la machine administrative.

Inutile de donner trop d’exemples.
Ceux qui exercent ce métier me comprendront et partageront – je l’espère – mon sentiment et mon exaspération croissante.

Et pour ceux qu’il faut faire rêver, je leur dirais, quoi ? de ne pas faire ce métier ?

Le temps passe vite au bureau.
Déjà 8h30 : j’appelle le banquier pour essayer de négocier mon découvert bancaire en dépassement abyssal.

Il n’est pas encore arrivé.
9h00 : je rappelle – sans succès le banquier. Personne ne répond. Tous à la machine à café ??
9h30 : pourquoi ne pas essayer de joindre le banquier ? On ne sait jamais, il est peut-être là ?
10h00 : comme je n’ai rien d’autre à faire, je renouvelle mon appel.

Je peux aussi jouer au « solitaire »sur l’écran de l’ordinateur. Cela me calme.

11h00 : à tout hasard, il (le banquier) va peut-être passer dans son bureau ?

Pourtant, j’ai bien vérifié, on n’est ni lundi, ni vendredi après-midi, ni veille, avant veille, lendemain, ou surlendemain de pont ou de viaduc, ni jour de grève annoncée dans les transports,

les avions, les bus, les métros, les taxis, les pédalos (on ne sait jamais). Il devrait être là.
Je renonce !
Le reste de la matinée se passe – encore et toujours – dans les papiers, les appels, les réclamations.
J’établis la liste des documents nécessaires pour l’expédition d’un container en Chine.
Ha, la joyeuse liste. Heureusement, lors de mes études agricoles, j’ai pris option « anglais », car l’option « chinois » y avait pas !

Et comme l’assistante pré citée ne parle pas anglais, à moi de m’y coller.

Allons-y gaiement :
1)Full set of clean on board ocean bills of landing and blank endorsed marked freight prepaid in 1 origin

and 1 copy ;

2)Signed commercial invoice in 3 originals indicating contract N° L/C no terms of price (CIF Wenzhou) and shipping marks ;

3)Packing list in 3 originals issued by seller with seal ;

4)Bottling certificate in 1 original issued by seller with seal ;
5)Analysis report in 1 original and 1 copy issued by third party – or sanitary Certificate in 1 original and 21 copy issued by official ;6)Freight invoice 1 copy issued by shipping company ;

7)Insurance policy in 1 original and 1 copy ;
8)The seller shall within 24 hours after shipment effected, send by email each scanned copy of the above documents

Je relis la liste. Essaye de comprendre. Revérifie. Il m’en manque un. Tant pis.

J’abandonne. De toutes façons, avec le décalage horaire pour la Chine je suis déjà planté pour la journée.
Le temps de régler les 3 ou 4 litiges de transport du jour, enfin, traduction : d’essayer de se faire rembourser la casse qu’on a déjà – nous remboursée depuis belle lurette aux clients pas franchement contents, le temps, bref, de quelques engueulades au téléphone, je me dis que je vais faire un tour dans les vignes. Cela détend.

Juste pour apprécier le travail de l’entrepreneur qui est en train de remonter à grands frais la terre emportée par les inondations de novembre dernier. 600 € la demi-journée de pelleteuse. Pour pas un raisin de plus à la récolte en septembre…

Les vignes, donc ? Oui, j’y passe…
Le travail du vignoble ? Je sous-traite…
Les résultats ? Je surveille…
Les traitements ? Au minimum. Pas par souci de l’écologie, du « bio » ou autre. Juste par économie.

Je n’ai pas les moyens de payer la chimie, je prie pour que le vent du Nord ne cesse pas.

Tant pis s’il éteint le cierge que j’allume pour lui, il soufflera aussi les mauvais miasmes, champignons et autres bestioles non désirées dans nos rangées.

Les vendanges ? Je contrôle…Les vinifications ? Je briefe…Vigneron ? Je « gère » !
Retour au bureau.

15h00 : rentrant de réunion (et de déjeuner – bien arrosé vu la voix pâteuse)

Le banquier m’appelle (il n’a pas eu mes messages, sans doute) pour me dire que là, il faut vraiment faire quelque chose pour mon découvert bancaire.

Parce que sinon… Sinon quoi ? il est déjà propriétaire de la cave, des cuves, de la quasi-totalité du matériel viticole, et les vignes sont hypothéquées. Bon, il consomme !

Mais à lui tout seul, il ne peut assurer l’équilibre de mes ventes en bouteilles.

En plus, je le soupçonne de se faire offrir les vins qu’il boit ! Et c’est moi qui lui paye sa voiture de fonction, ses notes de frais et son téléphone portable dernier cri avec mes agios bancaires. Que veut-il de plus ??

16h00 : je me dis qu’il faut se détendre. Allons faire un tour au Caveau de dégustation de l’abbaye.

Au moins, discuter avec les clients, c’est toujours bon, ça remonte le moral.
Je descends, traverse l’abbaye (oui, c’est beau ! Très beau !).
Il y a là un couple, touristes visiblement. Qui voudraient bien goûter un « bon petit rosé, allez ».
Bon mon rosé, je l’espère ! Mais pourquoi « petit » ? Grand peut-être pas. Je n’ai pas cette prétention de faire des « grands vins » mais – bon sang – pourquoi « petit » ?

J’ouvre une bouteille, je fais déguster, je commente, un peu technique, un peu « vigneron », un peu « sympa ». Ca vous plaît ? Moui, mouiii, sans doute, peut-être, à voir. Un peu cher. On va réfléchir.

Le couple finit son verre, tourne le dos, s’éloigne !
Et m… encore une vente de ratée ! Mais… l’homme se retourne, me regarde, hésite…
Il a changé d’avis ?? Allez, dites, tant que vous y êtes, puisque vous avez ouvert la bouteille, vous ne pouvez pas nous la donner pour l’apéro, tout à l’heure, on la boira à votre santé ?

C’est sûr, descendre au Caveau, ça m’a bien détendu et je remonte dans mon bureau « gonflé à bloc » !
18H Un visiteur m’a demandé, un jour, s’il pouvait me poser une question un peu personnelle.
Pourquoi pas, puisque seules les réponses comptent à ce jeu-là.
Il me demande si le fait d’habiter dans une abbaye a modifié ma façon de prier.
La question, disons-le me prend un peu de court.
Je réponds à côté.

22H Avec le recul, je me dis que d’être vigneron en 2016 est – en soi – un formidable entrainement à la prière !

Pas besoin de vivre dans une abbaye, dans ce métier, il y a toujours, tout le temps, à solliciter Dieu – ou à l’engueuler, ce qui est, n’est-ce-pas, une autre manière de le prier ?.

24H Vive tous les vignerons et bénissez nous ! »

Témoignage d’un vigneron d’Abbaye anonyme 😉

 

Propos recueillis par ID VIN

www.idvin.com

 

N.B. L’Association des Vins d’Abbayes créée en 2008 vous invite à découvrir des vignobles datant de plus

de 900 ans au sein de paysages uniques …

Le voeu de cette Association est de promouvoir les vins d’Abbayes par la mise en valeur de leur

patrimoine historique, culturel et oenologique.

Celle-ci regroupe des propriétaires privés exploitant des vignobles principalement d’origine

cistercienne et une Abbaye bénédictine « vivante »

où une communauté de moines élaborent leur vin : l’Abbaye du Barroux.

Forts de leurs similitudes les Vins d’Abbayes ont leur propre Salon et leur boutique en ligne.

A l’occasion de la 10éme édition de ce Salon nous voulons vous décrire le quotidien

d’un vigneron d’Abbaye :

En 2016 être vigneron dans une abbaye est un engagement total pour la transmission

d’un patrimoine VIVANT tout autant que pour la création de Grands Vins,

un véritable sacerdoce monacal moderne ?